Doris l’exploratrice
Rudy Gobert, Nicolas Batum et Evan Fournier ne sont pas les seuls NBAers de l’Équipe de France. Doris Martel (41 ans), responsable du département de thérapie manuelle et fonctionnelle des Sixers, possède le même statut. L’unique femme du staff continue de faire tomber les barrières.
Joel Embiid n’a pas encore décidé quel maillot il portera sur la scène internationale. Mais, ironie de l’histoire, le MVP NBA est celui qui a servi d’entremetteur pour précipiter l’arrivée de Doris Martel chez les Bleus : "C’était pendant la saison 2018/19. J’étais avec les Sixers à Orlando. Je profitais d’un break et j’aperçois Joel Embiid qui me fait de grands signes : "Doris, Doris, viens voir !" Dans un restaurant de la ville de Floride, le pivot star de Philadelphie est attablé avec Boris Diaw, Jacky Commères (directeur de la performance et des Equipes de France) et Jean-Pierre Siutat (Président de la FFBB). Martel reste déjeuner. Et quelques mois plus tard, les Bleus lui proposent d’intégrer le staff pour la Coupe du Monde en Chine. Une offre qu’elle ne va pas immédiatement accepter, inquiète de laisser son jeune fils pour de longues semaines, mais également du regard d’un milieu français qu’elle a quitté depuis son installation aux Etats-Unis en 2006. "Je pensais qu’on allait me prendre de haut… ou de bas, c’est selon", sourit-elle.
Son patron aux Sixers, l’ancien docteur du Barça Daniel Medina, lui force quelque peu la main. "Il me disait : il faut que tu y ailles, ça serait une fierté pour la franchise et c’est ton pays, c’est important. Finalement j’ai fait la campagne et ça s’est super bien passé." Le groupe des kinésithérapeutes et ostéopathes de la sélection, Serge Krakowiak, Nicolas Barth et Benoît Mahieu, découvre avec intérêt son mode de fonctionnement : "Ils ont vu que j’apportais des techniques différentes. On se complète très bien en travaillant le corps de façon différente mais avec le même but." La greffe a définitivement pris et Doris Martel est désormais une habituée des compétitions internationales, mise à disposition par sa franchise alors que son contrat stipule pourtant qu’elle ne peut intervenir que sur les joueurs des Sixers.
Pour l’unique femme du staff des Bleus, c’est une nouvelle conquête après un parcours où se mêlent volonté, culot et détermination. Car la native de Vitry-sur-Seine dans le Val de Marne, ancienne gymnaste, diplômée d’un master en communication et partie pour Los Angeles il y a 17 ans pour améliorer son anglais, n’était sans doute pas prédestinée à prendre soin des physiques des stars NBA. Mais comme l’aurait dit Otis, la vie est faite de rencontres, des gens qui ont tendu la main… Une responsable de stage acariâtre et une blessure au genou soignée par un shaman aux techniques peu orthodoxes convainquent la jeune femme de laisser tomber son stage et de s’inscrire dans une école de massage et à l’université de Long Beach State pour reprendre des études de thérapie neuromusculaire. Le changement de parcours est radical. L’histoire est en marche, servie par la magie d’un fonctionnement américain basé sur la capacité à faire ses preuves plutôt que sur le culte du diplôme.
Un échange Facebook avec un kiné finlandais des Lakers lui permet de commencer à travailler avec des athlètes NBA. Un premier. Puis un deuxième. Le bouche à oreille fait le reste. La Française intervient ponctuellement auprès des Grizzlies, des Pelicans ou des Blazers, avant de signer un contrat, à 32 ans, avec les Clippers en 2013. Elle restera cinq ans dans l’autre franchise de L.A. En 2018, alors que son équipe a terminé sa saison, J.J. Redick, shooteur d’élite de Duke, du Magic et des Clippers, alors installé à Philadelphia, lui demande de le suivre pendant les playoffs. D’autres joueurs, tentés par ses techniques, passent également entrent ses mains. La franchise de Pennsylvanie s’attache définitivement ses services et l’envoie aussi sec en Chine s’occuper de l’épaule de Markelle Fultz, ancien numéro un de la draft.
Aujourd’hui, la stagiaire en communication est devenue responsable du département de thérapie manuelle et fonctionnelle des Sixers. Une position rare pour une femme, européenne de surcroît. "Des femmes commencent à avoir des postes de pouvoir dans certaines franchises", note-t-elle. "Cela s’ouvre mais la NBA reste un milieu d’hommes." Si elle continue d’intervenir directement sur les joueurs via notamment des massages sur les tissus mous (muscles, tendons, fascia), elle manage également des intervenants extérieurs spécialistes en acuponcture, stretching, ostéopathie ou médecine chinoise. Philly lui a par ailleurs permis de développer un projet avant-gardiste autour de la médecine fonctionnelle qui, à base de tests génétiques ou hormonaux, permet d’établir des programmes personnalisés pour chaque athlète. Une ascension remarquable qui ne lui épargne pourtant pas une remise en question permanente : "Quand je suis dans les avions privés NBA, je me dis : putain je suis là ! J’ai un peu le syndrome de l’imposteur."
Chez les Bleus, c’est la thérapie manuelle sur laquelle se concentre Doris Martel. Avec une réputation qui la précède désormais. "Les joueurs n’ont pas l’habitude des techniques que j’utilise et qui sont douloureuses. Mais quand ils voient le résultat, ils reviennent", remarque-t-elle. "Même sur des courtes périodes comme une campagne internationale, tu peux prévenir des blessures. Je les regarde s’entraîner, je vois s’ils sont limités dans certains mouvements. Je trouve qu’en Équipe de France, les joueurs ont saisi l’occasion d’utiliser un staff très performant pour se requinquer et retourner dans leur club plus en forme que lorsqu’ils sont arrivés."